LEOBALDO MANUCCI est connu en France sous le nom d’Alde Manuce. Né à Bassiano dans le Latium en 1450, il a fait de solides études classiques. Il fut appelé à Carpi par Pic de la Mirandole, un de ses élèves, en qualité de tuteurs de deux de ses neveux, Lionello et Alberto Pio. Ces derniers et leur mère furent les premiers financiers d’Alde, dont le projet était d’éditer et d’imprimer à grande échelle tous les classiques de la littérature grecque.
En 1490, Alde Manuce s’établit à Venise comme imprimeur. La ville était déjà un centre typographique d’importance où vivaient de nombreux érudits grecs. Par ailleurs dans cette ville fabuleusement riche, existait un marché de marchands aisés, susceptibles d’acquérir des livres classiques.
L’entreprise éditoriale de Manuce s’est révélée fort complexe dans la mesure où les manuscrits grecs étaient rares et pour un même texte présentaient souvent des dissemblances déconcertantes. Profitant de la présence à Venise de nombreux réfugiés byzantins, il réunit des érudits grecs qu’il employa à collecter, relire et éditer les textes classiques. Des hommes distingués y travaillèrent, tels le futur Cardinal Pietro Bembo, ou encore Erasme de Hollande.
Toutes les opérations de fabrication du livre étaient réalisées dans les ateliers de Manuce. Il fabriquait lui-même son encre et reliait les livres qu’il vendait. Manuce s’attacha également à faire dessiner et fondre des caractères d’imprimerie. D’abord des caractères grecs un peu grêles avec de très nombreuses ligatures. Ensuite, un romain finement dessiné avec pleins et déliés donnant du relief au texte, protoype du style Aldin œuvre du calligraphe Francesco de Bologne, dit Griffo. Il fut utilisé pour la première fois pour le De Ætna du futur Cardinal Pietro Bembo, le plus illustre lettré vénitien de ce temps.
Mais la grande innovation qu’Alde Manuce apporta à la typographie fut de faire fondre par Francesco Griffo, de gracieux caractères semi-cursifs, inspirés si l’on en croit la légende de l’écriture de Pétrarque, et initialement destinés à imprimer une édition du Plutarque. Ces caractères basés sur l’écriture de chancellerie en usage à Venise à cette époque, n’étaient pas encore parfaits et rappelaient plus un romain incliné qu’une véritable italique, mais Griffo en le dessinant avait apporté une nouvelle dimension à la typographie : désormais, nul romain ne serait gravé sans sa version italique. Le principal intérêt de ce nouveau caractère est d’ordre économique. Composé avec une approche plus serrée que les romains traditionnels, l’italique permettait à l’imprimeur de gagner de l’espace et d’abaisser ainsi les coûts de production d’un livre. Le premier livre dans lequel ce caractère fut employé est un « Virgile » publié en 1501.
Les éditions de Manuce portaient la fameuse marque au dauphin, symbole d’agileté, enlacé autour d’une ancre, symbolisant la stabilité et qu’entourait le nom « ALDVS » en deux syllabes, symbolisant le «hâte-toi lentement» (Festina lente) de Boileau.
Travailleur acharné, Alde négligea sa famille et ruina sa santé. Il fut confronté à des grèves qui ralentirent son rythme d’édition et dut affronter la rude concurrence d’imprimeurs rivaux qui copiaient ses éditions, et qui n’avaient donc pas à supporter les coûts importants liés à la préparation des textes.
Il résista toutefois honorablement: c’est que ses livres, imprimés en petits volumes et vendus à un prix modique étaient très compétitifs pour un public qui allait en s’élargissant. Cet humaniste, désireux qu’il était de faire partager ses goûts en matière littéraire, est le premier imprimeur à avoir lancé sur le marché des ouvrages édités dans un format beaucoup plus petit que celui auquel on était habitué jusqu’alors. Il s’agissait pour lui, d’imprimer des livres que les étudiants puissent consulter facilement et qui ainsi, avaient d’avantage de chance d’être lus. Dans une certaine mesure, il est donc possible de considérer Manuce comme le père de l’impression de masse.
Il mourut épuisé en 1515, son œuvre partiellement accomplie. Ses fils la poursuivirent, avant que l’atelier familial ne soit dissout en 1597 à la mort d’Alde le Cadet.